Semaine 5
Si le grain tombé en terre ne meurt pas .
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit ». Cette phrase peut être prise pour la parole d'un sage, observant la nature et le cycle de la vie, allant de la naissance à la mort, et méditant sur ce paradoxe : de la mort peut surgir la vie . Le grain de blé peut aussi nous renvoyer à la parabole du semeur et au grain portant du fruit s'il tombe dans la bonne terre ou plus largement aux images des blés mûrs pour la moisson, signe qu'il est temps pour les apôtres de proclamer la Bonne Nouvelle.
Mais Jésus prononce cette parole dans un contexte très particulier, celui de son heure, « L'heure est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié. » Le Christ va en effet accomplir l'œuvre qui lui a été confiée par son Père, faire connaître Dieu pour que l'homme accède à la vie éternelle, c'est-à-dire au salut. Manifester la plénitude de Dieu, c'est le glorifier. Nous voyons dans les évangiles comment Jésus, par ses paroles et son comportement, suscite interrogation, accueil ou rejet. Devant ses disciples, il parle plus ouvertement. A Philippe il répond « Celui qui m'a vu a vu le Père » ; de même, il annoncera à ses disciples l'envoi par son Père de l'Esprit-Saint.
Face à cette révélation, face à l'attitude de Jésus, le rejet et la violence vont grandir jusqu'à la perspective d'une mort violente. Le Christ va alors vivre un combat intérieur entre son désir instinctif, humain de vivre et d'échapper à la mort, et sa volonté de rester en union avec son Père. La nuit, à Gethsémani, par sa prière il aspire à faire l'union de sa volonté avec celle de son Père, dans l'amour. L'épître aux Hébreux traduit d'une manière plus dramatique ce combat en parlant de cri, de larmes et d'obéissance dans la souffrance. L'action du Christ consiste à appeler l'action de Dieu dans la prière et à l'accueillir dans l'obéissance.
Les souffrances du Christ nous impressionnent, parce qu'elles rejoignent notre expérience humaine, et nous pouvons comprendre ce qu'il a subi. Mais la Passion du Christ est avant tout le reflet de la laideur du péché qui défigure l'homme. Le Christ qui n'a pas commis de péché a pris sur lui les effets du péché. L'humiliation et la violence ont marqué son corps, son cri d'abandon sur la Croix traduit la même solitude que le pécheur qui s'est fermé à Dieu. L'engagement de Dieu dans notre humanité a été total.
Ce n'est pas l'intensité des souffrances du Christ qui nous sauvent, c'est son obéissance . Il ne s'est pas dérobé, il est resté fidèle jusqu'à l'extrême à l'amour pour les hommes et l'amour envers son Père. L'heure est venue où le grain de blé meurt. L'heure est ce moment où, élevé de terre sur la croix, la gloire du Christ culmine dans le don sans réserve qu'il fait de sa personne au Père.
Jésus voulait faire connaître Dieu et Dieu se révèle toujours autre. Il n'y a pas une image pouvant dire le tout de Dieu. De même, nous avons de multiples images représentant le Christ en croix. Certaines vont mettre l'accent sur la souffrance humaine, d'autres sur la divinité, mais nous resterons toujours devant ce mystère : ce qui est le plus scandaleux et inutile devient, en union avec le Christ , source d'amour infini. Le grain portera encore beaucoup de fruit.
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29 mars 2009 : 5 ème dimanche de Carême (année B)
Lectures :
Jr 31,31-34
Ps 50
He 5,7-9
Jn 12,20-33
Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean (Jn 12,20-33)
"Parmi les Grecs qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu durant la Pâque, quelques-uns abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée. Ils lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André ; et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : « L'heure est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s'en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle. Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? – Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l'entendant, la foule qui se tenait là disait que c'était un coup de tonnerre ; d'autres disaient : « C'est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n'est pas pour moi que cette voix s'est fait entendre, c'est pour vous. Voici maintenant que ce monde est jugé ; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir."
Avec ce cinquième dimanche de Carême, nous sommes aux portes de la Passion de Jésus-Christ. Pour m'aider à prier, me placer devant un crucifix . Demander au Seigneur de me faire prendre conscience que Dieu s'est engagé par amour pour moi en Jésus Christ . Demander à Dieu de continuer à me faire comprendre la gloire si paradoxale du Christ en Croix. Puis prier le passage proposé en m'arrêtant à certains points particuliers.
Ils lui firent cette demande : « [Seigneur,] Nous voudrions voir Jésus. »
L'évangile de ce dimanche commence avec des Grecs qui sont montés à Jérusalem pour la Pâque. Ils sont venus adorer le Dieu invisible. Mystérieusement, pourtant, ils sont poussés à demander à voir quelqu'un : ils s'approchent avec respect de Philippe et lui demandent : « Seigneur (ou ‘Monsieur'), nous voudrions voir Jésus. » Ont-ils conscience qu'ils vont voir en Jésus le visage de Dieu ? Probablement pas. Mais un désir les pousse à vouloir le voir. Qui veulent-ils voir en lui ? Un rabbin révolutionnaire ? Un maître de sagesse ? Un guérisseur ? L'évangile ne nous le dit pas… Mais celui qu'ils verront, c'est le Crucifié, « élevé de terre ». L'Homme-Dieu qui n'a plus de visage. L'Homme-Dieu qui a le visage des douleurs. Quel paradoxe…
Et moi ? Est-ce que dans cette retraite je suis venu adorer Dieu ? Est-ce que je veux voir Jésus ? Laisser cette pensée se développer en moi : après cinq semaines de retraite, où en est mon désir ? Est-ce que je désire davantage voir le visage de Dieu ? Du Christ ? Est-ce que j'arrive à accepter le visage de Dieu qui se présente à moi au fur et à mesure des méditations ?
Laisser résonner en moi, en le répétant doucement, cet appel : « Seigneur, je voudrais voir Jésus ». Laisser tranquillement remonter en moi le(s) visage(s) du Christ qui se présente(nt) à mon imagination.
Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit.
Imaginez la surprise des Grecs qui vont voir Jésus et qui entendent cette métaphore biologique ! Quelles drôles de paroles… et pourtant, nous le savons tous d'expérience, pour qu'une plante puisse pousser, il faut que la graine s'efface , perde forme et consistance, se laisse faire par l'eau, le soleil, la terre, pour devenir une plante grande, belle, avec des fleurs ou des fruits. Imaginer une graine (blé, fleur, fruit), si petite et si commune. Imaginer ensuite comment cette graine se laisse transformer pour donner un bel épi, une belle fleur, de beaux fruits sur un arbre. Prendre le temps d'imaginer la beauté de cette transformation.
Et maintenant, délicatement, faire la même chose avec Jésus : voir comment, de sa condition divine, il a pris la chair humaine, si fragile, si faible, jusqu'à n'avoir plus ni forme ni visage à la Passion… Voir comment Dieu le Père lui a donné une apparence radicalement neuve et belle à la Résurrection… Seule la foi en la Résurrection peut rendre acceptable la Passion.
Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur.
Nous avons le désir de voir Dieu. Mais pour être avec Dieu dans la gloire, il nous faut suivre Jésus dans toutes les étapes de sa vie. Je ne peux pas faire l'expérience de la Résurrection si je ne laisse pas faire en moi l'expérience de la Passion. Penser à un général qui commande une armée de libération, ou à un entrepreneur qui veut réussir une affaire : pour gagner le combat de la liberté ou remporter un gain commercial, cela nous paraît normal qu'il « mette le paquet », qu'il « sue sang et eau ». Comme le dit la sagesse populaire, « Qui ne risque rien n'a rien. » Et pour la vie spirituelle ? Qu'en est-il ? Suis-je prêt à me risquer ?
Pour gagner la victoire de la Vie avec le Christ, il va falloir le suivre jusqu'à la Croix. Jusqu'à le regarder en Croix ; jusqu'à reconnaître aussi la présence de la Croix qui est dans ma vie. Il ne s'agit nullement de s'inventer des croix que nous n'avons pas. La vie nous présente assez d'occasions d'être exposés, livrés, ridiculisés, dépouillés, souffrants. Ce que le Christ désire, c'est que nous puissions reconnaître sa présence à nos côtés dans ces moments aussi. Là où est le serviteur, là est le Christ. Réfléchir en moi : où sont les croix de ma vie ? Est-ce que je peux voir que le Christ ne m'abandonne jamais quand je suis confronté à ces croix ? Est-ce que je vois comment ce dépouillement me rend plus semblable au Christ, capable de le suivre dans Sa Gloire ? Cela peut être difficile, douloureux pour moi, soyons pleins de douceur avec nous-mêmes. Avec l'aide de l'Esprit saint, essayer de voir comment mes blessures, mes croix, m'ont aidé à porter du fruit pour les autres, déjà dans cette vie : est-ce que mes blessures m'ont rendu plus compatissant, plus patient, plus attentif ? Au cours de ce temps de prière, laisser l'Amour infini de Dieu travailler en moi..
Quand le temps que je m'étais fixé pour la prière arrive à sa fin, m'arrêter quelques minutes pour parler au Seigneur comme avec un ami : le remercier pour ce qui m'a été donné pendant le temps de la prière, redire l'une ou l'autre demande, la confiance en son amour toujours fidèle ou toute autre parole qui montera dans mon cœur.