Les héritiers et les convertis
Ce que le prophète Isaïe avait prédit : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore… », L’évangéliste Luc en révèle l’accomplissement : « Voici que des mages venus d’Orient arrivent à Jérusalem. » Précurseurs des nations, les mages ont vu une étoile se lever. Par un discernement, une intelligence qui n’appartient qu’à eux, ils se sont mis en route. Contrairement à la légende, il n’est pas spécifié combien ils sont, ni leurs diplômes, leur religion, leurs origines. Ils ne connaissent pas encore la Bible, et encore moins les prophètes. Mais ils ont en eux une sagesse qui les pousse à scruter les étoiles, le vent, les arbres, les sources… Dans ce grand livre de la nature, ils ont détecté un indice, une hypothèse. Ce n’est pas très clair, mais ils jugent le signe assez fort pour se risquer à un long voyage, en quête de la vérité.
À la suite des mages, je me pose une question : quelle est ma manière de chercher le Christ ? Nous avons tous notre manière de concevoir notre vie chrétienne.
Certains d’entre nous sont issus de familles où on a l’impression d’être chrétiens depuis 28 générations ! On reçoit cette identité chrétienne (je caricature un peu) comme on hérite d’une maison ou l’argenterie. Je les appelle les héritiers.
Mais d’autres, issus de milieux non croyants, anticléricaux, de différentes cultures, religions, continents…, n’ont hérité de rien. Ils sont eux devenus chrétiens au prix d’un profond changement de vie. Leur chemin vient de plus loin, de ce lieu que le saint Père appelle les périphéries de notre Église. Pour entreprendre ce voyage de foi, ils ont parfois dû payer le prix fort. Pour eux ce n’est jamais un choix anodin. Souvent radical. Je les appelle les convertis.
L’héritier et le converti. Ces deux profils existent parmi nous.
Le premier, l’héritier, dans le meilleur des cas, est soucieux de l’héritage et de sa responsabilité de nourrir sa foi et de la partager. Dans le pire des cas, il n’est qu’un rentier de la foi, et son engagement glisse doucement dans une tiédeur un peu mollassonne.
La deuxième, le converti, est la version explosive de notre foi. Il entre dans notre champ de vision avec de lourds sabots, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il pose des questions que nous ne posons jamais, ou que nous n’avons jamais osé poser. C’est un vent d’air frais, mais que des personnes trop frileuses peuvent confondre avec un courant d’air. Ces derniers chercheront alors à vite refermer les fenêtres. Car le converti peut déranger. Sa ferveur peut, il est vrai, tourner à l’intolérance et les jugements hâtifs sur les membres de l’Église plus timides ou discrets. Son impatience prend alors le dessus sur la bienveillance et la miséricorde nécessaires pour accepter les limites de chacun.
Les grands prêtres et les scribes dans l’Évangile font partis des héritiers. Ils possèdent les codes pour apparemment comprendre ce que Dieu veut. Ils sont supposés être des spécialistes de la chose. Mais il faut admettre : avec tous leurs diplômes, leur expertise, leur ancienneté… ils n’ont rien vu venir. Il a fallu que des étrangers, venus d’on ne sait où, avec pour boussole une étoile, leur révèlent que quelque chose se passe.
Les mages ressemblent aux convertis. Issus de milieux non-croyants ou agnostiques, ils se demandent par ignorance s’ils ont simplement le droit de pénétrer dans une église. Ils peuvent exprimer des opinions anticléricales dans un premier temps mais dans un deuxième temps révèlent souvent un vrai désir d’aller plus loin. Car les mages posent une vraie question à ceux qui sont censés en savoir un bout sur la question : « Où est-il ton Dieu ? » Conscients qu’ils ne savent pas tout, ils ont besoin de la sagesse des héritiers. Les scribes et les grands prêtres plongent alors leur nez dans la Bible et aident à éclairer le mystère : c’est à Bethléem qu’il faut aller !
Ainsi, l’héritier et le converti ne sont pas deux modèles qu’il faut opposer. Ils sont complémentaires. Les mages ont besoin de l’expertise des héritiers pour aller plus loin dans la découverte de la richesse de la foi. Mais les scribes et les grands prêtres ont besoin de la fraicheur du converti pour leur rappeler que la foi n’est pas une religion du divan comme disait le Pape François aux JMJ de Cracovie en 2016 : « Nous ne sommes pas venus au monde pour ‘végéter’, pour vivre dans la facilité, pour faire de la vie un divan qui nous endorme ; au contraire, nous sommes venus pour autre chose, pour laisser une empreinte, une empreinte qui marque l’histoire. »
Nous devrions être les deux : héritiers et convertis. Dans nos communautés, il faut allier la flamme prophétique du converti et la douce brise charitable de l’héritier. Le converti nous rappelle que la découverte du Christ doit nous transformer, et que notre foi comporte indéniablement une exigence de réveil, parfois même radical. Mais l’héritier nous invite aussi à vivre notre foi dans la durée. Nous devons pour cela parfois mettre de l’eau dans notre vin en veillant à la charité entre tous. Et pas en forçant tout le monde à adopter ses seules idées !
Êtes-vous dans l’Église plutôt chrétiens sur canapé, plutôt assoupis, ou tornade blanche qui balaie tout sur son passage ? Un peu des deux ? En toute chose, mettons-nous à l’école de la Sainte Famille qui n’a pas craint de laisser des étrangers s’approcher de Jésus-Christ. Toute personne avec ses caractéristiques propres contribue positivement à la vie de l’Église et de la foi. Les offrandes des mages en sont le signe éclatant. Comme dit saint Paul : « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » Alors, ne fermons pas notre cœur mais écoutons la voix du Seigneur. Dans notre Église, faisons de la place pour tous !
Père Michel Protain