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Un siècle d'amour
Les chiffonniers du Caire l’appelait Ableti, « grande sœur ». Son prénom ? Madeleine. Mais le monde entier connaît mieux celui que cette perpétuelle révoltée s’est choisi à 22 ans : Emmanuelle. Toute sa vie, la religieuse vêtue de sa sempiternelle blouse de nylon gris s’est battu contre la misère et l’exclusion.
Sœur Emmanuelle s'est éteinte comme une étoile. En laissant un immense rayon de lumière. Une disparition ressentie par tous : à qui n'était-elle pas devenue familière ? Foulard et blouse grise, tennis usés, on reconnaissait sans peine la silhouette. Le visage ridé comme par un appétit de vie et de soleil, le regard bleu scintillant derrière de larges lunettes, et toujours le sourire aux lèvres. Une femme totalement disponible aux autres : « Si on ne s'intéresse pas aux autres, la vie devient monotone », confiait-elle un jour à Paula Boyer.
Chacun avait compris depuis son retour d'Egypte que le mot retraite lui était étranger. Elle n'avait jamais semblé aussi présente. Auprès de ses amis de l'association Asmae bien sûr, mais aussi à la télévision et à la radio, dans les écoles, les paroisses, les prisons. Mais encore, et toujours, près des pauvres, des exclus. Les SDF de l'association Paola à Fréjus, par exemple.
Jusqu’au bout, être utile et efficace
Inaction : autre mot banni de son vocabulaire. La gamine insupportable, la jeune religieuse frondeuse, la révoltée du Caire : comment effacer un tel caractère ? Jusqu'au bout, elle entendait dire ce qu'elle pensait, secouer les dormeurs, ne pas rester les bras croisés. Etre encore utile et efficace, avec cet optimisme qui en désarmait plus d'un, et cette façon de mettre un terme au doute : « C't'évident, non ? » Ne jamais laisser s'éteindre la flamme de l'espérance. Yalla ! Qui n'a perçu l'infatigable volonté derrière cette interjection souvent répétée d'une voix à la fois fluette et ferme ?
Le charisme de sœur Emmanuelle reposait sur un sens inné du contact. Tutoyant tout le monde – sauf le pape…-, dotée d'une mémoire d'éléphant pour les noms, elle marquait toujours un intérêt sincère pour celui qu'elle rencontrait. Avec le même égard, mais aussi le même culot, qu'il soit puissant ou misérable.
Dans les échanges, elle savait avec intuition ce qu'il fallait dire et faire à chaque instant. Et elle affichait une force de conviction inaltérable : « J'ai opté pour l'amour universel », disait-elle, expliquant que ce n'était pas la pauvreté qu'elle aimait, mais les pauvres ; la justice plus que la charité.
D'après le journal LE PELERIN