édito du P.Alain
Sentinelles de l’invisible
Tout recommence avec ce temps de l’Avent où nous faisons mémoire de la venue du Christ à Noël, DON de Dieu à l’humanité, tandis que nous nous préparons à son avènement glorieux au terme de l’histoire. L’occasion est belle de réfléchir au sens et à la portée d’un tel événement qu’on peut désirer ou redouter. Mais dans tous les cas, il faut s’y préparer. Car tout nous est donné et, en même temps, tout est encore à vivre dans l’espérance. Notre vie est une promesse de salut que Dieu réalise avec nous, jour après jour, année après année, de commencements en commencements.
Pour essayer de comprendre les enjeux de cette attente active du Seigneur qui vient, je partirai de la parabole du semeur (cf. Mc. 4, 1-20). Cette parabole évoque les aléas du don : gaspillage de la semence dispersée avec insouciance. Le semeur est prêt à semer en pure perte, confiant dans une certaine fécondité de son geste, en dépit de tout ce qui tombe à côté. Il prend des risques avec une étonnante liberté. La semence est diversement reçue selon les terrains, qui ne représentent pas tant des types de personnes que les méandres d’une histoire humaine. Cette parabole est une invitation adressée aux auditeurs de Jésus : écouter et accueillir le Verbe incarné, venu planter sa tente parmi nous ! Invitation adressée à des libertés, où l’échec possible de la relation est d’avance assumé.
Le Donateur qui va jusqu’au gaspillage n’est pas un avare ! En revanche, faut-il l’accuser d’écraser les humains de sa folle libéralité ? C’est ici qu’intervient de façon très intéressante la tradition biblique du Dieu caché, du Dieu qui se retire. Car le vrai don n’écrase pas et ne rend pas le souvenir du donateur obsédant. Or que dit la Bible ? Que Dieu se donne et se cache tout à la fois. « En vérité tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël Sauveur ! », s’exclame le prophète Isaïe. La tradition chrétienne a médité sur cet aspect caché. Ainsi Blaise Pascal : Dieu se manifeste de façon cachée, dans un état intermédiaire entre obscurité et lumière, une semi-obscurité qui n’impose rien mais respecte la liberté du cœur.
Balthasar va jusqu’à dire que l’incarnation est le point culminant de l’obscurité divine. Paradoxe, car des chrétiens pensent spontanément que si Dieu était plutôt caché dans l’Ancien Testament, il se rend enfin visible en Jésus. Eh bien, c’est tout le contraire, nous dit Balthasar à la suite de Pascal ! En Jésus-Christ, la visibilité de Dieu s’achève dans l’obscurité. Et cela, non pas seulement dans la passion, mais dès l’incarnation. Dans le seul fait que le Verbe se fait chair. « Incarnation du Verbe, cela veut dire, avant toute considération particulière, visibilité suprême dans l’obscurité la plus profonde. Car si l’homme devient vraiment le langage de Dieu, ce n’est pas en forçant sa nature à tendre au surhumain, à être plus grand, plus éclatant, plus célèbre et plus étonnant que tous les autres ; c’est en devenant homme comme tout le monde, parce qu’il doit être pour tout le monde, et se caractériser justement, dans sa banalité, comme l’Unique ». Paradoxe inconcevable, vers lequel convergent tous les paradoxes de la création et de l’histoire du salut… Les chrétiens sont invités à illustrer cette histoire, à lui donner sens et fécondité. Entre l’exhibition et la pudeur, il y a la traçabilité de l’engagement quotidien, à la fois modeste et audacieux.
Le Maitre nous redit comme à ses disciples : « veillez ! ». En nous engageant à veiller, il nous institue sentinelles de l’invisible. Soyons ces guetteurs prompts à discerner dans la prière les signes de sa présence cachée. Ainsi, avec la communauté dans sa diversité, nous veillerons sur notre vie et la vie de nos frères.
Bonne année d’espérance en Christ, visage de l’amour du Père !
P. Alain