Tous dans le même bateau
Dans deux lectures de ce jour, il est question du récit biblique du voyage de l’arche de Noé. Ce récit est central pour saisir la dynamique des textes de ce jour. Mais pourquoi donner une telle place à ce récit aujourd’hui ?
Petit rappel : le peuple hébreu a dû subir bien des voyages dans leur histoire. Ce n’était souvent pas une partie de plaisir, mais plutôt de rudes expériences. Ce fut Abraham qui partit pour un pays inconnu, l’Exode de 40 ans dans le désert, l’exil à Babylone… Le récit du voyage de Noé est le symbole d’un peuple qu’on a souvent imaginé déraciné et errant mais qui a toujours trouvé l’énergie pour surmonter les cailloux du chemin. Où dans ce cas, la mort par noyade.
Nous aussi depuis un an, il semble que nous sommes comme dans un frêle esquif, ballotté par les flots. Avec toute la planète, nous traversons un océan plein de péril : la pandémie. Nous scrutons l’horizon dans l’espérance d’apercevoir le phare ou la silhouette d’une côte hospitalière, ou nous pourrons enfin nous reposer après l’épreuve.
L’Église elle-même a pu être comparée à un bateau dans son histoire. Elle aussi est aujourd’hui secouée : l’Église n’est jamais coupée de l’existence et donc de la souffrance des hommes et des femmes. Au point de départ de la pandémie, on a tous été embarqué dans la barque commune, comme Noé dans son arche, en nous demandant ou tout cela nous mènera. Entre confinements et couvre-feux, sur les hauts et les creux de la première, de la deuxième, dans la crainte d’une troisième vague, le mal de mer (ou plus grave !) nous guette. Appuyé lourdement sur la rambarde, le masque nous étouffe.
La période que nous traversons nous interroge sur notre santé : la lutte contre la Covid-19, le soin de nos corps, mais aussi de notre santé mentale. Saint Pierre élargit cela en parlant plutôt de notre salut. Ce concept, plus large que celui de santé, concerne tout ce qui est essentiel à notre existence, tout ce qui donne un sens à nos vies. Sans boussole, GPS, ou sextant, le navire n’a pas assez d’ancrage pour déterminer la course à suivre. Se basant sur le récit de l’arche de Noé, Saint Pierre affirme quelque chose de fondamental pour les chrétiens : depuis notre baptême notre existence a été mise à l’eau. Comme un bateau doit prendre la mer pour être véritablement un bateau, ainsi il faut être baptisé pour découvrir sa vocation. Dit autrement : comme un bateau est fait pour la mer, notre existence est faite pour Dieu. Un navigateur expérimenté nous a précédé dans ce voyage où se joue la vie ou la mort : Jésus-Christ. Regardez combien, dans le récit de saint Marc, Jésus ressemble à Noé. Il est aussi au milieu des bêtes sauvages et Il partage avec elles une fraternité étonnante. S’il n’affronte pas les assauts des vagues du déluge, il subit néanmoins celles de Satan pendant 40 jours au désert, combat dont il ressort vainqueur. Comme Noé met les pieds sur la terre ferme, Jésus aborde les rives de la Galilée des nations où il proclame l’Évangile de Dieu, en appelant à la conversion : « Les temps sont accomplis ». Comme Noé, Jésus inaugure la nouvelle alliance. Une alliance qui s’élargira jusqu’aux païens, dans une communion aux dimensions de tout l’Univers, oiseaux, bétail et toutes les bêtes inclus.
Avec Jésus-Christ, nous sommes appelés à vivre en ce monde, soucieux de l’existence de tous, conscient que chacun, chacune et chaque créature est un don de Dieu, comme Noé su cohabiter dans l’arche avec tous ces animaux.
Mais le danger est d’oublier tout cela. La parade à l’oubli ? les hébreux avaient un pense-bête. Chaque fois qu’ils voyaient apparaître un arc-en-ciel, l’Alliance qu’ils avaient noué avec le Seigneur leur revenait en mémoire. Ils se rappelaient alors leur mission en ce monde : non le détruire ou le dominer, mais le servir et l’aimer.
Nous aussi, chaque fois que nous nous assemblons autour de l’autel, nous contemplons dans ce pain et ce vin l’Alliance nouée entre nous et le Christ, avec lequel nous faisons corps. Nous faisons mémoire de ce que le Christ a fait pour nous. C’est un appel permanent à monter à bord du navire, sans crainte.
Marc commence donc dans son évangile par présenter son champion : Jésus-Christ. Celui-ci, dès le début de sa vie publique, démontre sa maîtrise et sa capacité à tenir la barre du navire qui deviendra plus tard l’Église. Alors que nous sommes encore ballottés par les événements, secoués par l’incertitude, n’avons-nous pas envie de renouveler notre confiance dans le capitaine ?
Michel Protain