Le parfum de l’Évangile
Nous sommes censés commencer le temps du Carême. Mais n’avons-nous pas l’impression que depuis un an, nous sommes plongés jusqu’au cou dans un carême sans fin ? Un carême tristounet imposé par les événements, une épreuve que nous n’avons pas choisie… ? Nous avons jeûné de rencontres, d’embrassades, de sorties. Certains ont versé des larmes à la disparition d’un proche, expérimentant un deuil d’autant plus difficile que tout devait se faire à distance, sans se toucher. Devant tout cela, n’allons-nous pas ajouter à tout cela un fardeau de plus en invitant les chrétiens à vivre 40 jours de renoncements et de conversion ? Ne faudrait-il pas lever un peu le pied ? N’est-il pas temps de prendre d’abord soin de soi, en laissant notre prochain et même Dieu prendre soin d’eux-mêmes ? On a parlé à l’occasion de la pandémie du syndrome de la cabane, un phénomène psychologique qui pousse certains à s’enfermer dans son petit monde, sa chambre et son silence. Cela résulterait en partie d’un sentiment d’impuissance à changer le cours des événements et à générer une espérance. Cela toucherait même des enfants.
Je ne pense pas que cette option soit viable.
Car Jésus ne nous invite pas à vivre en ermite dépressif ce temps du Carême. Ce n’est pas le moment pour confiner sa vie chrétienne, mais pour la déployer, au centuple. Les moyens qu’il propose sont des moyens traditionnels du judaïsme : l’aumône, la prière et le jeûne. Mais fidèle à cette tradition, il tient à affirmer que la solidité et l’authenticité de toute vie spirituelle ne se joue pas dans la visibilité de nos initiatives, ou des masques de piété que nous pouvons montrer. C’est dans notre temple intérieur que nous devons bâtir les fondations les plus solides. Peu importe le rituel. Ainsi aujourd’hui, pour des raisons sanitaires, nous n’appliquerons pas les cendres de manière traditionnelle. Je vais bénir les cendres, mais au lieu de l’appliquer au front, les consignes sont de saupoudrer les cendres sur la tête, en silence. Cela troublera peut-être certains. C’est alors le moment de dire que cela ne change rien. L’appel à être disciple demeure, même en ce temps troublé.
Cette pandémie nous rappelle la nécessité d’offrir résilience et fidélité face à l’adversité. Forts de notre expérience depuis un an, nous abordons cette période avec certainement plus d’humilité. Car quand on affronte la tempête, est-ce que nous avons envie de faire les malins ? Il s’agit alors de se mettre en position d’écoute. Le silence de la chambre dont parle Jésus, lorsqu’on ferme les portes derrière soi, n’est pas le fait d’un être apeuré, paralysé par les enjeux et les dangers. Mais c’est se mettre à l’écoute d’une sagesse. Celle-ci est pascale, car elle se conçoit d’abord comme un chemin, et non comme un état statique et sans perspective. Cette sagesse, Jésus la propose à ses disciples. Ces derniers sont à cette heure peut-être un peu fatigués, et se demandent s’il y a un berger qui pourra les guider vers la sortie de secours. Mais ils vont trouver dans l’enseignement de Jésus une manière de surmonter l’épreuve.
Alors comment donner un sens à cette quarantaine, 40 jours pour changer la donne et réorienter sa vie ?
Coopérateurs de Dieu, nous le sommes, comme dit saint Paul. Le carême, plus qu’un temps de pénitence et de conversion, est un moment pour témoigner de la bénédiction de Dieu sur nos existences. C’est avec ce bagage que nous entamons notre marche vers Pâques.
Des engagements, des initiatives sont à prendre. Prenons-les !
Des moments de prière sont à vivre, dans le silence, à l’écart de nos écrans d’ordinateurs ou de nos télévisions. Vivons-les !
Nous pouvons donner notre temps, notre générosité, notre joie. Donnons tout !
Jésus insiste sur le parfum que doit exhaler tout chrétien, un parfum fleurant bon la vie dans l’Évangile, soutien dans l’épreuve et parole de réconfort pour ceux qui désespèrent. Parfum discret certes, mais qui témoigne de la présence du Christ dans ce monde. Malgré les incertitudes, je souhaite à tous une joyeuse marche vers Pâques.
Père Michel Protain