Solennité du Christ-Roi
En ce dernier dimanche de l’année liturgique, au seuil de la saison de l’Avent, nous célébrons la solennité du Christ Roi de l’Univers. Cette fête est une manière de nous rappeler que si toute cette année nous avons célébré la liturgie, mis en place des programmes pastoraux, multiplié les réunions pour organiser notre vie d’Église… ce n’était pas avant tout pour nous satisfaire de notre capacité purement humaine à gérer les choses. Mais c’était pour reconnaître Jésus-Christ (et lui seul !) comme le bon berger qui prend soin de nous, le ressuscité qui nous sauve, le Roi qui nous révèle jour après jour les secrets de son Royaume. Avec Lui, le seul véritable « Pasteur », nous entrons véritablement dans la « pastorale » du Royaume : à la fois contemplatifs en s’asseyant à ses pieds comme Marie, savourant sa Parole, et actifs, gardant la tenue de service pour les autres comme Marthe.
Dans ce but, le chrétien ne peut pas seulement compter sur lui-même, mais il doit rester à l’écoute de ce guide sûr et sage : le Christ. Pour saint Paul, c’est une certitude : « C’est dans le Christ que tous recevront la vie » (Corinthiens 15, 20-26. 28). Le psaume du jour (psaume 22) présente Dieu comme un « Berger », un guide qui a le souci d’installer ses brebis dans la « maison du Seigneur pour la durée de leurs jours », pour « revivre » près des « eaux tranquilles ».
Le prophète Ézéquiel, dans la première lecture (Ez 34, 11-12.15-17) se situe dans cette ligne : c’est à Dieu que revient l’initiative de porter les hommes et les femmes dans leur périple, et non le contraire. C’est Dieu qui, comme un berger sur son troupeau, veille sur nous, nous délivre, nous guérit, nous donne le repos : « C’est moi qui ferai paître mon troupeau », « C’est moi qui le ferai reposer. » Je perçois dans ces affirmations l’écho de la foi d’Israël, dans le premier des dix commandements : « Je suis le Seigneur ton Dieu, c’est moi qui t’ai fait sortir d’Égypte, où tu étais esclave. Tu ne dois pas avoir d’autres dieux que moi. » (Deutéronome 5, 6-7)
Notre réponse ne peut être que la prière-louange que Saint Augustin présente à Dieu : « Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il ne repose en toi. »
Le drame de beaucoup de nos « pastorales » est peut-être l’épuisement que nous pouvons ressentir quand nous nous imaginons que c’est nous qui devons veiller et prendre soin de Dieu. Nous réduisons notre horizon à ce que nous essayons de réaliser. Nous pouvons même devenir des idolâtres de nos petits lieux de pouvoir, de nos petits empires, auxquels nous donnons une importance démesurée. Quel est le remède à cela ? Nous tourner résolument vers le Seigneur ! Nous serions déjà ainsi plus fidèles au commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit ». Mais en plus, quoi de plus libérant et de plus joyeux que de redécouvrir le Dieu qui, comme un berger, veille, délivre, recherche l’égaré, panse les plaies… Si jusqu’à maintenant nous avions pu rester à distance de ce Dieu, « endormis » comme dit saint Paul dans la deuxième lecture (Première lettre de saint Paul aux Corinthiens 15, 20-26.28), si même nous avons dû affronter « la mort en Adam » (une manière de décrire notre condition humaine dans sa fragilité), le lien restauré en Jésus ouvre un horizon d’espérance. « Appartenir au Christ », comme dit saint Paul, c’est redécouvrir Dieu présent dans un monde que la résurrection du Christ a renouvelé de fond en comble. Fini l’aveuglement, l’endormissement paresseux de notre foi qui nous empêchait de reconnaître dans celui qui a faim, soif, est étranger, nu, malade, le visage du Christ. Car quel est le miracle, la grâce invisible qui se cache dans notre parabole ? Par l’action de l’Esprit, il semble que les brebis et les boucs se soient transformées en bergers, chargés à leur tour de transmettre la bienveillance apprise de leur maître. Loin d’être un troupeau docile et passif, ce sont désormais des créatures nouvelles. Saint Paul dans un autre passage de la deuxième épitre aux Corinthiens décrit ainsi le changement qui s’opère chez ceux qui rencontrent le Christ : « Si quelqu’un est uni au Christ, il est créé à nouveau. Ce qui est ancien est fini, ce qui est nouveau est là. Tout cela vient de Dieu. Il nous a réconcilié avec lui par le Christ et il nous a demandé d’annoncer cette réconciliation » (2 Corinthiens 5, 17-18). Ainsi renouvelés, les brebis et les boucs avaient tous les éléments pour mener à bien leur mission : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit » et « aimer son prochain comme soi-même ». Force est de constater que dans cette entreprise, certains ont été à la hauteur, d’autres beaucoup moins…
Il est ainsi important de témoigner autour de nous non pas tellement ce que nous essayons de réaliser (même s’il y a parfois de quoi en être fier) mais surtout de partager comment la rencontre que nous avons faite de Jésus-Christ a transformé nos existences, et continue de le faire. C’est seulement à cette condition que nos contemporains pourront éventuellement découvrir la richesse d’appartenir au Christ.
Nous pouvons faire notre cette prière de la liturgie eucharistique de ce jour : « Dieu éternel, tu as voulu fonder toutes choses en ton Fils bien-aimé, le roi de l’univers ; fais que toute la création, libérée de la servitude, reconnaisse ta puissance et te glorifie sans fin ! »
Père Michel Protain