L’étoile Blanche de l’Espérance
« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.
Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.
Cette petite fille espérance.
Immortelle. »
Ce passage d’un célèbre poème de Charles Péguy témoigne de l‘émerveillement de ce dernier quant à la possibilité même de pouvoir espérer. Confronté aux incertitudes, aux périls, à la solitude confinée, à l’impuissance face aux conséquences de la pandémie… comment garder en nous encore un peu de flamme et de force pour continuer le voyage ? Privés d’Eucharistie publique, empêchés de rencontrer nos proches sans prendre mille précautions, face aux difficultés de notre économie, à la peur de la contamination… notre capacité d’espérance n’est-elle pas vouée à l’épuisement, au désespoir ? Comment notre espérance peut-elle être « immortelle » ?
Les lectures de ce dimanche nous appellent à redonner des couleurs à cette espérance. L’évangile du jour (Matthieu 25,1-13) présente la parabole des dix jeunes filles en attente de la venue de l’époux pour une noce hors du commun. Au cœur de la nuit et de la fatigue de l’attente, cinq sont jugées prévoyantes et cinq autres insouciantes. L’heure d’arrivée de l’époux est imprécise. Sans portable et avec des chemins peu sûrs, les habitants de Palestine n’avaient en leur temps pas d’autre choix que de s’abandonner à la Providence et à la patience. Les gens savaient et acceptaient que la vie est rarement prévisible. Les prévoyantes sont donc réalistes face à la situation : elles savent qu’elles ne savent pas quand l’époux va arriver. Elles s’équipent donc en conséquence : Les réserves d’huile pour les lampes sont alors le symbole de ce qui dans nos vies nous permet d’affronter l’incertitude, le fait que nous ne sommes pas maîtres du temps et des événements. « Quand aurons-nous un vaccin ? Ou un traitement efficace ? Quand est-ce que mon entreprise pourra reprendre du poil de la bête face à la crise économique ? Quand-est ce que je pourrais visiter mes parents en Ephad sans tout le tralala de la distanciation physique ?… » Nous n’avons pas encore de réponse à cela.
Mais alors, comment ranimer concrètement en nous la flamme de l’espérance ? Laissez-moi vous citer un auteur que j’aime beaucoup : J.R.R Tolkien. Grand écrivain anglais, mais aussi fervent catholique, il est l’auteur de la célèbre Trilogie des anneaux. Les héros de cette dernière, Frodo et Sam, doivent entreprendre une mission pour sauver ce monde d’un grand péril. Je ne vais pas tout vous raconter : je vous invite à le lire si ce genre littéraire vous plaît. Mais je vous partage un moment de leur périple, et qui a quelque chose à voir avec notre espérance. Dans le tome 3 de la Trilogie (Oui, il y a trois volumes !) Frodo et Sam vont entrer dans le terrible royaume de Mordor, par-delà les montagnes de l’Ombre. Sur la plaine implacable de Gorgoroth au pied de l’horrible mont du Destin, Frodo est épuisé par sa mission. Il n’en peut plus, il tient à peine debout. Son compagnon Sam, jusque-là enjoué, tente de l’encourager. Mais on sent que les batteries intérieures s’épuisent. Cachés dans le creux d’un cratère, la peur et le désespoir les guettent. Vont-ils succomber à leurs assauts ? C’est là que je vous cite Tolkien dans le texte :
« À vous de dormir en premier, monsieur Frodo, dit Sam. Il recommence à faire noir. J’ai l’impression que cette journée tire à sa fin. » À ces mots, Frodo soupira et s’endormit presque aussitôt. Sam, luttant contre sa propre fatigue, lui prit la main ; et il resta assis en silence jusqu’à la nuit close. Enfin, pour mieux rester éveillé, il rampa hors de leur cachette et regarda aux alentours. Le pays semblait résonner de grincements, de craquements et de bruits furtifs, mais il n’y avait aucun son de voix, aucune rumeur de pas. (…) à l’ouest, le ciel nocturne gardait encore une pâle lueur. Là, parmi les épaves nuageuses, au-dessus d’un sombre monolithe au faîte des montagnes, Sam vit scintiller un moment une étoile blanche. Sa beauté lui perça le cœur, comme il regardait au-dessus de la terre déserte ; et l’espoir rejaillit en lui. Car la pensée le traversa, nette et froide, comme un trait, que l’Ombre n’était finalement qu’une petite chose éphémère : une lumière et une beauté pérennes existaient au-delà, à jamais hors de sa portée. Dans la Tour, Sam avait chanté un air de défi plutôt que d’espoir ; car il pensait alors à lui-même. Mais pour l’heure, son propre sort, et même celui de son maître, cessèrent de l’inquiéter. Il se glissa de nouveau parmi les ronces et s’étendit près de Frodo, puis, mettant toute peur de côté, il s’abandonna à un profond et paisible sommeil. »
Je garde en moi cette phrase du texte : « l’Ombre n’était finalement qu’une petite chose éphémère : une lumière et une beauté pérennes existaient au-delà, à jamais hors de sa portée. »
Nous aussi nous scrutons l’horizon qui nous entoure. Et des signes, mêmes ténus, nous maintiennent malgré tout dans l’espérance. Au-dessus de nos soucis, « parmi les épaves nuageuses, au-dessus d’un sombre monolithe au faîte des montagnes » nous voyons « scintiller un moment une étoile blanche. » C’est une nouvelle Sagesse qui doit éclairer notre route, comme elle a éclairé tant de chrétiens dans bien des heures sombres de leur histoire.
À cet effet, La première lecture, tirée du livre de la Sagesse (6, 12-16) appelle chacun à « penser » la Sagesse divine, « resplendissante », qui « ne se flétrit pas », « perfection du discernement ».
Le but de la vie n’est pas de pouvoir répondre à toutes nos questions ou d’évacuer tous nos problèmes mais de découvrir, même au cœur des ténèbres, le « visage souriant » de la Sagesse de Dieu. Les vierges prévoyantes sont « sages » parce qu’elles donnent à leur espérance assez de carburant pour qu’elle brille plus longtemps. Leur sagesse est celle d’une Alliance entre elles et l’époux. Ce dernier arrivera c’est certain, mais elles n’attendent pas passivement : elles prennent l’initiative concrète pour leur permettre d’attendre sereinement sa venue, quel que soit le temps que cela prendra.
L’Ombre de la pandémie n’est celle que d’un moment, l’inquiétude un fardeau qui nous prive de la paix dont le monde a tant besoin. Gardons courage !
Nous pourrons alors citer de nouveau Péguy :
« Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé.
Sur la route montante.
(…)
La petite espérance.
S’avance. »
Michel Protain
Paroisse Saint-Stanislas des Blagis