« C’était après la mort de Jésus ». C’est ainsi que débute l’Évangile de ce jour. C’est un moment
terrible pour les disciples. Non seulement, ils doivent vivre le deuil de leur maître, mais ils
doivent aussi fermer les verrous de la maison dans laquelle ils sont réfugiés, car ils craignent
pour leur vie.
Leur situation partage quelques ressemblances avec celle que nous vivons aujourd’hui : Nous
devons plus ou moins limiter nos contacts, par peur de la contamination. Nous pouvons ainsi
être en empathie avec ces disciples. Avec eux, nous pouvons mieux comprendre ce que signifie
se sentir isolés, impuissants et vulnérables.
Nous pouvons nous demander plus librement la place de la peur dans notre vie. Sauf si nous
sommes comme les Vikings dans Astérix et les Normands des personnes qui ne connaissent
pas la peur, je pense que nous avons tous connu l’angoisse à un moment de notre vie, d’une
manière ou d’une autre. La peur fait partie de la vie. Certains affrontent de réels dangers,
d’autres ont plus de mal à décrire les raisons ou la source de leur anxiété. La peur est utile :
elle avertit l’enfant ou l’adulte d’un danger potentiel. Mais dans d’autres cas, elle envahit
toute la conscience et devient paralysante.
Les chiffres varient mais ne trompent pas : nous les français, nous marchons la peur au ventre !
Il est dit qu’un quart de la population française consomme des psychotropes, des substances
qui agissent chimiquement sur notre psychisme. Tranquillisants, somnifères,
antidépresseurs… tous ces médicaments représentent autant de tentatives plus ou moins
heureuses de nous remettre sur les rails du bonheur, de l’harmonie, du sommeil réparateur.
Car il faut bien le dire, beaucoup d’entre nous vivent des souffrances insupportables. La
pandémie n’a surement pas arrangé les choses. Comment aider celui ou celle qui simplement
ne veut plus avoir mal ?
Dans leur propre bulle, les disciples auraient aussi pu tourner en boucle leur désillusion et leur
sentiment d’échec. Ce qui guette ces disciples n’est pas tant la peur que le désespoir.
Dans cet environnement anxiogène, le Christ ressuscité apparait. Et il a un message qu’il
martèle, trois fois : « La paix soit avec vous ! »
Pour un non croyant, le récit de la scène pourrait prêter à sourire : « Voici Jésus qui apparait
comme Zorro dans la chanson ! » Mais pour le spectateur averti, le croyant, il y a quelque
chose de remarquable qui se joue ici. Jésus brise deux barrières, celle de la mort et celle que
nous érigeons autour de nous. Il n’est pas seulement question de la résurrection de Jésus,
mais de la résurrection des disciples eux-mêmes. En sortant de cette maison, ils auront acquis
une vie que seul le Christ peut donner. Ils vont d’une certaine manière passer de la mort à la
vie.
Thomas, qui était absent, ne sait encore rien et croit encore moins. Il met d’abord ses
conditions : toucher le Christ, le voir, le sentir, l’entendre. Thomas est en attente (comme
beaucoup d’hommes et de femmes dans le monde) d’une bonne nouvelle venant des
Chrétiens. Mais il n’en voit pas encore le visage concret. Il faudra proposer, comme Jésus, un
christianisme concret, vécu dans notre chair : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main et mets-la dans mon côté. » Avant de regretter l’incroyance du monde, Jésus
invite d’abord à dénicher l’incrédulité présente dans les communautés chrétiennes. En ce
dimanche de la miséricorde, débusquons d’abord notre misère, pour entendre l’appel à la
conversion de Thomas l’Apôtre : « Cesse d’être incrédule, sois croyant ! » Les Actes des
Apôtres présentent la foi concrète des premiers chrétiens qui « rendaient témoignage à la
résurrection du Seigneur » et sur qui une « grâce abondante reposait. » Les fruits de cette
conversion sont concrets : « Aucun n’était dans l’indigence » et on distribuait l’ensemble des
biens « en fonction des besoins de chacun. »
Pour Saint Jean accomplir cela ne peut être un fardeau « puisque tout être qui est né de Dieu
est vainqueur du monde. » Ne commençons-nous pas à sentir en nous le don de la paix que le
Seigneur nous offre ? Ne sommes-nous pas par notre baptême rempli de l’Esprit Saint, capable
d’audaces et de former des communautés d’Église vivantes, attentives aux besoins de
chacun ? Avons-nous encore des raisons d’avoir peur ?
Père Michel Protain