Dans la première lecture de ce dimanche, tirée du livre du Deutéronome (Dt 18, 15-20), il y a cette phrase : « Un prophète qui aurait la présomption de dire en mon nom une parole que je ne lui aurai pas prescrite, ou qui parlerait au nom d’autres Dieux, ce prophète mourra. » Comme on devrait toujours lire toutes les clauses d’un contrat, même celles écrites en tout petit caractère, je dois prendre au sérieux cet avertissement. Je ne suis pas strictement un prophète, mais je ne peux nier qu’il y a ici une mise en garde adressé à tous ceux qui prétendent parler de Dieu, de notre relation à Lui. Ce que réclament les hébreux à Moïse dans le texte, c’est de bénéficier de l’enseignement et de la sagesse de personnes qui les aideront à discerner la volonté de Dieu. Pour Dieu, c’est plutôt une bonne idée : « Ils (le peuple) ont bien fait de dire cela ». Il faut des personnes assez proches de Dieu pour l’écouter, mais assez proche du peuple pour transmettre la parole de Dieu. Car il ne suffisait plus aux hébreux de simplement écouter les grands récits glorieux du passé (la traversée de la mer rouge, la remise de la Loi dans le feu du Sinaï…), il leur fallait des personnes pour les aider à vivre concrètement leur foi, aujourd’hui.
Saint Paul a voulu vivre cette existence chrétienne concrète. Il savait combien le Seigneur l’avait entouré d’amour lors de sa rencontre éblouissante avec Jésus-Christ sur le chemin de Damas. Il avait conscience que les disciples et les apôtres de Jésus détenait le privilège de le précéder dans l’aventure évangélique. Lui, Paul, était simplement heureux que Jésus, « en dernier lieu », avait bien voulu apparaître à lui, « l’avorton » (ce sont ses mots). Paul se sentait redevable envers le Christ. Devant Jésus, Paul ne se considère pas plus grand qu’un Playmobil dans les mains d’un enfant. Mais il sait que ce Playmobil n’est pas un simple jouet du Seigneur, mais qu’il a reçu la grâce de servir l’annonce de l’Évangile. C’est tel qu’il est que Dieu est venu le chercher sur le chemin de Damas. Ainsi dans la seconde lecture de ce jour (1 Cor 7, 32-35), ce que je retiens n’est pas tant les conseils quant aux bienfaits comparés de la vie mariée d’un côté et du célibat de l’autre. C’est plutôt la manière dont Paul se décrit, tel qu’il est, en vérité. S’il a choisi de rester célibataire pour servir au mieux les églises, ce n’était pas pour marteler une quelconque supériorité de sa vocation ! Mais simplement pour dire qui il est, avec toute son originalité. S’il doit contribuer au bien des églises, c’est comme il est, tel que Dieu l’a appelé à être. Il connait ses limites, ses échardes, mais il sait les déposer dans les mains aimantes du Seigneur. Ainsi, si on veut parler avec autorité sur Dieu ou la foi, il faut accepter ce long travail de s’accepter tel qu’on est. Trésor dans un vase fragile, nous pouvons alors embrasser pleinement notre vocation.
Dans l’Évangile de ce jour (Mc 1, 21-28), nous nous tournons vers la source de toute autorité enracinée dans l’Évangile : Jésus-Christ. Le fils du charpentier de Nazareth, un jour de sabbat, enseigne dans la synagogue. Par ses mots et ses actes, les esprits impurs prennent la fuite, laissant un malheureux enfin en paix. Saint Marc nous fait entrer dans le sens de la mission de Jésus et en filigrane nous ce qui est attendu de nous. L’homme tourmenté est à la fois porte-parole des démons qui le torturent mais aussi des questions que nous nous posons : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? » En effet, Seigneur, que veux-tu que je fasse ? « Es-tu venu pour me perdre ? » « Tais-toi ! » réplique Jésus. C’est frappant : Jésus nous appelle d’abord au silence. On est ainsi mieux disposés à écouter la voix du Seigneur qui ordonne : « Sors de cet homme ! ». L’homme crie. À travers le cri de ce pauvre, plus puissant que les mots que je prononce à l’instant, c’est d’abord Jésus-Christ qui se révèle, avec toute l’autorité de sa parole. Celle-ci a assez de force pour mener cet homme vers des eaux plus tranquilles. Si nous n’enfermons pas cette scène dans un folklore d’un simple exorcisme de cinéma, elle éclaire alors la conversion à laquelle nous sommes tous appelés. Croyons-nous que Jésus puisse faire de même avec nous ?
Je craignais au début de l’homélie qu’en disant des bêtises, je risquais de subir la mort. Je ne peux que constater : je suis toujours vivant. Et si je suis vivant, c’est que Dieu doit avoir une bonne raison de me maintenir en vie, comme il doit avoir une bonne raison de maintenir la vôtre ! Avec le psaume de ce jour (Ps 94), je peux chanter : « Oui il est notre Dieu ; nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. » Les habitants de Capharnaüm se demandent : « Qu’est-ce que cela veut dire ? ». À chacun de nous de répondre à cette question, pour soi-même.
Michel Protain