À quoi sert un prophète ?
Pour faire court, c’est quelqu’un qui est chargé par le Seigneur de susciter chez ceux qu’il rencontre le meilleur d’eux-mêmes. Il peut parfois avoir des mots durs, car il n’est pas facile d’annoncer aux gens que l’avenir ne sera pas tout rose. Mais il ne doit pas non plus enfoncer le clou si fort qu’il suscite chez ses interlocuteurs une dépression aux conséquences néfastes ! Il doit aider à positiver, à susciter une espérance. Car le Peuple d’Israël n’est pas dans une situation facile. Face à des empires qui l’encerclent, totalement indifférents à la vie ou la survie de ce petit pays, Israël est comme un mendiant, fauché, sans le sou, sans influence, sans voix… Face aux puissants de ce monde, Israël apparaît comme un « looser », un perdant.
Isaïe veut réconforter les croyants. Ils ne sont pas les esclaves de leur condition. Une issue de secours existe. Mais pour cela, il faut répondre à l’appel du Seigneur « Venez, suivez-moi ! » À cette démarche, Dieu accorde son soutien, et c’est gratuit !
Le prophète invite d’abord à prendre un peu de hauteur sur sa vie. Car le Seigneur a dit : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la Terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins et mes pensées au-dessus des vôtres. » Pour marcher plus léger, il faut laisser derrière nous ce qui nous pèse, notre « méchanceté », notre « perfidie ». Car notre vie chrétienne comporte la nécessité d’une conversion, d’un changement de vie. Nourrir des regrets ou une nostalgie sur le chemin parcouru ne mène à rien. Jésus nous a mis en garde contre cela. Un jour, il rencontre un homme qui veut bien le suivre, mais pas trop vite : « Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d’aller d’abord prendre congé de ceux de ma maison. » Jésus lui rétorque : « Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu » (Luc 9, 61-62).
L’autre jour, une jeune fille m’a demandé à la sortie de la messe : « Que fait-on après la Communion ? » Je pense qu’elle demandait quel sacrement elle devait passer pour aller plus loin dans sa foi. La confirmation ou quelque chose comme ça. Mais je pense qu’elle me demandait plus profondément ce qu’un homme demanda un jour à Jésus : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » J’avais envie de lui dire : « Fais ce qui plaît au Seigneur : mets-toi en route ! » Et pas dans un an ou trois ans : maintenant ! Il n’y a pas de calendrier pour suivre le Christ. Il n’y a qu’un appel qui nous est fait, ici et maintenant : « Viens et suis-moi ! » Un sacrement est célébré en une heure, top chrono. La vie chrétienne, c’est toute la vie, à partir de maintenant !
Cheminer en croyant, en chrétien, c’est renaître de Dieu, dans la foi en Jésus-Christ. Par Lui nous pouvons briser nos paralysies, chasser nos peurs, rejeter le mal « méchant et perfide » pour choisir le bien. Saint Paul appelle cela « vaincre le monde ». Non pas pour haïr ce dernier, mais juger que notre foi chrétienne a une place légitime dans ce monde, malgré les assauts et les critiques dont les chrétiens sont parfois les sujets. Cela implique une confiance renouvelée dans le travail de l’Esprit Saint qui s’assure que la Parole du Seigneur saura féconder et faire germer nos vies, comme « la pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, […] donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ».
Jésus en plongeant dans le Jourdain pour recevoir le baptême de Jean trace sa route de Fils de Dieu. Dans L’Évangile de Marc, Jésus-Christ est présenté en perpétuel mouvement. Il rejoint ainsi des lieux et des personnes très diverses : la Samarie, les territoires païens, des malades, des possédés, des collecteurs d’impôts, des prostitués… Il marche même sur l’eau !
Nous sommes ses disciples. Nous tentons de le suivre par l’écoute de la Parole. Dans le souffle de l’Esprit Saint, nous essayons de vivre notre vocation avec notre charisme propre. Nous n’arrivons parfois pas à suivre : les disciples en leur temps ont aussi eu du mal ! Mais nous croyons que le voyage en vaut la chandelle. Il faut seulement nous mettre en route. Le baptême, notre baptême, doit être compris ainsi : le point de départ d’une marche empreinte de confiance, de charité et d’espérance. Le chemin n’est pas tracé : ce n’est que le marcheur qui peut dessiner la route. Pour illustrer cela, je vous propose les mots du poète espagnol Antonio Machado. Une invitation pour tous à nous mettre en route. Tout de suite !
Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur,
Il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur ! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Antonio Machado, Chant XXIX,
Proverbios y cantarès,1917.
Michel Protain