Lorsqu’à sa naissance les parents donnent un nom à leur enfant, ils lui font savoir qu’il est aimé et reconnu dans ses spécificités. Il n’est plus un anonyme. Nommer quelqu’un est un acte d’alliance. Fondateur. Il en est ainsi pour Ésaïe dans la première lecture. Il se tourne vers Dieu qu’il reconnaît comme le fondement de toute sa vie. En le nommant : « Notre-rédempteur-depuis-toujours. », il exprime ainsi sa familiarité avec le Seigneur. Pour lui, Dieu n’est pas un concept abstrait et lointain. Familier, il ose le nommer, non pas seulement dans un élan poétique, mais parce qu’il veut l‘appeler, le reconnaître et l’aimer.
Le potier et son argile
Cette relation, cette amitié, cette familiarité, elle est un fait pour Isaïe. Mais comme entre un fils et son père, il y a des moments où il faut se dire les choses franchement, sans pour autant que leur lien soit en danger. Au contraire ! Car toute amitié, toute relation peut traverser des orages, affronter des défis. Ainsi le Seigneur est « irrité », et Isaïe est tout penaud car il considère que « nous avons encore pêché, et nous sommes égarés. » Isaïe souhaitait cette rencontre : « Ah ! si tu déchirais les cieux, si tu descendais… ». Ici, ce ne sont pas les montagnes qui vont être secoués, c’est Isaïe ! Et à travers lui toute la communauté des croyants. Mais le texte ne décrit pas un Dieu qui vient pour tout casser. Mais plutôt pour relever ce qui est à terre. Les images sont celles d’un potier qui vient pour pétrir l’argile et lui donner forme. La confrontation est franche et directe, mais l’objectif est constructif : Dieu vient façonner Isaïe, comme l’argile, pour que sa vie reprenne forme. En acceptant ses limites, son péché, Isaïe s’ouvre à la possibilité que le Seigneur puisse accomplir en lui son plan. Isaïe va comme s’attendrir pour laisser faire le Seigneur. Isaïe rappelle la personnalité de François d’Assise qui prie le Seigneur de faire de lui « un instrument de sa paix » pour que « là où est la haine, qu’il mette l’amour, là où est l’erreur, de mettre la vérité… » En abandonnant derrière eux leur « linge souillé », leurs « feuilles desséchées », leurs fautes qui « comme le vent (les) emportaient », tous deux ont voulu mettre derrière eux ces obstacles à l’accueil du Seigneur dans leurs vies.
« Fais-nous vivre ! »
Dans la deuxième lecture, saint Paul incite les Corinthiens (Cor 1, 3-9) à demeurer dans la communion avec Jésus Christ, le Fils de Dieu. À travers lui, une grâce leur est donnée : « Vous avez reçu toutes les richesses, celle de la Parole et de la connaissance de Dieu ». Ce n’était pas gagné ! Certes fervente et vivante, la communauté de Corinthe restait exposée à bien des dangers : querelles, divisions, pratiques morales pour le moins discutables et disputées… Cette communauté, comme pour tous les chrétiens, avaient besoin d’accueillir les mains du Seigneur pour la façonner selon l’Évangile. Les chrétiens de Corinthe ont pu faire sien les mots psaume du jour (Psaume 79) adressés au seigneur : « Fais-nous vivre et évoquer ton nom ! » Nous ressemblons beaucoup à ces Corinthiens. Nous sommes certes chrétiens, mais le sol peut sembler se dérober sous nos pieds. Nous nous sentons peut-être plombés par nos limites, nos impuissances, nos incapacités à être toujours cohérents et crédibles dans notre foi et nos actes. Mais saint Paul est formel : « Dieu est fidèle ». Par notre baptême, nous avons été « appelés » par Dieu par notre nom pour « vivre en communion avec son fils, Jésus-Christ notre seigneur. » Malgré les difficultés du chemin, c’est Jésus-Christ qui nous fera tenir fermement jusqu’au bout.
Veiller, chacun fixé à son travail
L’Évangile du jour (saint Marc, 13, 33-37) décrit ce projet au long cours (« Jusqu’au bout » !). D’abord Dieu fait confiance à ses serviteurs. Il donne tout pouvoir à chacun, muni des « richesses de la parole et de la connaissance de Dieu » que mentionnait saint Paul. Ensuite, chacun est « fixé à son travail ». Chacun, selon ses richesses, ses talents, mais aussi ses limites et ses défauts, a un boulot à faire. Il n’est pas toujours accompli parfaitement, mais si le croyant persiste de « tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit », il peut accomplir cela dans la paix et la grâce que souhaite saint Paul aux Corinthiens. C’est le temps de la veille, où nous pouvons rester convaincus de la fidélité du Seigneur et qu’il ne nous laissera pas démuni devant l’ampleur de la tâche. En ces temps troublés, où nous pouvons nous-mêmes être un peu désorientés, ou impatients, ou en colères…, sachons nous tourner vers le Seigneur : il saura bien nous suggérer à l’oreille un projet de vie selon son cœur.
« Maintenant, Seigneur, c’est toi notre père.
Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes :
Nous sommes tous l’ouvrage de nos mains. »
Père Michel Protain