RENCONTRE DU 16 JANVIER 2019 des mercredis de St Stanislas
Après une réunion de libre expression sur les difficultés que rencontre l’Eglise et une seconde réunion consacrée à la “Lettre au Peuple de Dieu” que le Pape François a publiée en août 2018, la rencontre du mercredi 16 janvier avait pour thème “Parlons de la pédophilie”. Notre réflexion et nos échanges ont été introduits par deux courts exposés de Véronique L., psychologue, et de Claire H., magistrat.
Véronique L. est psychologue clinicienne et a été confrontée à des cas précis.
La pédophilie est l’aspect clinique d’un attrait sexuel pour le corps des enfants. Les spécialistes spécifient s’il s’agit d’une attirance exclusive ou non et si elle se porte uniquement sur les garçons, sur les filles ou sur les filles et les garçons. On a tous des fantasmes et le fantasme pédophile est fréquent, mais il n’y a pas de lien direct entre le fantasme et l’agir pédophile. Une thérapie avec un psychologue ou un psychiatre peut aider à formuler et à symboliser. L’important est de l’exprimer en mots, d’être écouté, ce qui permet d’éviter le passage à l’acte. Le vrai monstre c’est le silence !
La pédopornographie, rendue aujourd’hui facilement accessible tant aux adultes qu’aux adolescents, laisse penser que le passage à l’acte est possible. De plus le risque d’addiction est réel. Il en résulte un éloignement de la symbolisation. Il existe des enfants agresseurs, d’où l’importance de poser des interdits avec les adolescents.
On estime généralement qu’une fille sur trois et qu’un garçon sur cinq seront abusés avant 18 ans ; et cela généralement dans le cadre d’une réelle relation de confiance entre l’adulte et l’enfant. Dans 90% des cas, il s’agit de parents ou de proches de la famille. Ce sont des amis, un peu de tendresse, de séduction et l’enfant cherche de la caresse… mais la réponse de l’adulte n’est pas appropriée : le bien et le mal sont mélangés. L’enfant sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a contradiction entre la tête et le corps. D’où la grande difficulté pour repérer l’abus dans la parole de l’enfant. Quelques questions sur l’environnement, un dessin peuvent permettre de libérer l’enfant du piège dans lequel il est tombé : mon papa il me fait ça parce qu’il m’aime… Une victime sur deux ayant subi un abus sexuel dans l’enfance tente de se suicider à l’âge adulte. Dès qu’il y a suspicion, nous sommes tous concernés et il faut oser faire des signalements car la vraie difficulté, c’est le silence !
Véronique recommande de consulter l’association L’Ange Bleu sur son site http://ange-bleu.com/fr/le-reseau-de-lange-bleu.
Claire H., magistrat, a été appelée à juger viols, incestes, etc. Elle a aussi longtemps travaillé dans un département au service de la protection de l’enfance.
1/ La justice se saisit des atteintes sexuelles souvent à la suite d’une plainte. L’atteinte sexuelle n’est pas définie par le code pénal, mais elle implique nécessairement un contact physique. Les textes qui la répriment se trouvent dans le chapitre portant sur les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne. La victime ne doit pas avoir été consentante, il faut qu’il y ait « contrainte, violence, menace ou surprise ». Pour les agressions sexuelles concernant les mineurs, la contrainte physique ou morale peut être caractérisée par la différence d’âge et si l’auteur a une autorité de droit ou de fait sur la victime.
Les peines encourues sont plus lourdes si la victime est mineure, et encore plus si elle est mineure de moins de 15 ans.
2/ La non dénonciation est un délit et peut donner lieu à jugement pénal ; le fait pour quiconque a connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligées à un mineur de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives alors que l’atteinte n’a pas cessé est puni de 3 ans d’emprisonnement. Le secret professionnel n’est pas recevable, mais le secret de la confession est opposable. Le silence est généralement utilisé par l’agresseur qui « tient » ainsi sa victime. La chape de plomb du silence de l’Eglise a eu un effet dévastateur parce qu’elle a renforcé le secret dont l’agresseur se nourrit.
3/ La prescription est de 6 ans pour les délits et de 20 ans pour les crimes, à partir de la commission des faits. S’il s’agit de victimes mineures, le délai court à partir de la majorité et est porté à 10 ans pour les atteintes sexuelles (20 ans si la victime avait moins de 15 ans). En effet la victime est souvent atteinte d’amnésie après l’agression et ne pourra révéler les faits seulement des années après.
Toutefois, après tant d’années, l’action de la justice est limitée par la difficulté de l’établissement des preuves car l’abus sexuel laisse peu de traces physiques, surtout des blessures psychiques, plus difficiles à établir. L’élément de preuve important est fréquemment seulement la parole de la victime elle-même et les témoignages, fragiles. Bien souvent, c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre ! De plus, cette parole porte en germe l’éclatement de la famille dont la victime aura le sentiment de porter la responsabilité ! Seulement 10% des viols sont dénoncés et on en condamne encore moins, faute de preuves.
On n’entend pas suffisamment la parole des victimes ! Car ce qu’elles souhaitent, c’est d’être entendues et reconnues dans leur souffrance ; elles ne veulent pas nécessairement la prison pour leur agresseur.
Nombreuses réactions et questions des participants :
Etonnement quant aux chiffres : ils « font peur ». « On ne se trouve plus dans le psycho individuel mais devant un problème sociologique de culture ».
Curiosité quant à l’histoire et à l’évolution : Peu d’études, l’accès à l’image, l’addiction a la pédopornographie, l’évolution des mœurs ?
Est-ce une maladie ? C’est un trouble mental donc des liens avec la crise de la psychiatrie en France ! Le pédophile n’est pas responsable de ses fantasmes mais il l’est de ses actes. Il y a des pédophiles de tous les âges. En droit, il faut un fait et un élément d’intentionnalité. Claire Horeau insiste sur la nécessité d’être prudent et de faire attention à ne pas généraliser trop vite, car chaque cas est individuel.
La récidive : la sanction prison n’est pas toujours assortie d’un accompagnement psychologique donc n’est pas toujours la bonne solution. Il existe aujourd’hui des traitements chimiques, pour les pédophiles récidivistes, qui sont utilisés avec l’accord de la personne.
Concernant l’Eglise, il y a confrontation entre deux logiques juridiques, celle du droit pénal et celle du droit canon pour qui le salut des âmes est le droit suprême, la protection de la victime étant peu importante ;
Il faut attendre dans le code de droit canonique pour trouver des mentions précises concernant la pédophilie des clercs…et les normes de 2011 pour que l’Eglise renonce à exercer elle-même la justice. Mais la confidentialité y occupe toujours une place centrale.
Un intervenant s’interroge sur la position des trois derniers papes qui ne pouvaient pas ignorer le scandale des légionnaires du Christ et ont donc privilégié le secret.
Que faire ? L’éducation nationale met en place des programmes de prévention. Créer, mais comment, des espaces de confrontation du type de la « justice restaurative » permettant d’éviter des procès.
Développer des lieux de parole accompagnée, à l’exemple de ce que pratique « l’ange bleu ».
Un prêtre et un ancien séminariste parlent de leur expérience, de la formation à la sexualité et de la possibilité de symboliser leurs fantasmes.
Le père Prosper remercie Véronique et Claire pour la qualité de leurs interventions et l’ensemble des participants qui ont répondu à l’invitation. Il rappelle le chant d’introduction : « nous sommes le corps du Christ, chacun de nous est un membre de ce corps ». Insiste sur la nécessité de toujours s’informer. Présente la cellule d’écoute du diocèse. Nous invite à penser aux victimes et à prier : Notre Père.