Homélie du 3ème dimanche de Carême A : La Samaritaine à l’épreuve de la Vérité
Père Alain Mbonzima, C.S.Sp.
Alors que nous poursuivons notre parcours de carême à la suite de Jésus
transfiguré, après avoir déjoué toutes les tentations du Démon au désert, l’Evangile
de St Jean nous le présente aujourd’hui comme un homme fatigué et qui a
faim… N’est-il pas vrai que notre marche chrétienne est souvent fatiguée par les
doutes, les échecs, les aspirations non satisfaites, ou simplement par manque de
ressourcement ? Or le carême nous donne justement l’occasion de nous arrêter au
bord du puits ; c’est là que Jésus veut nous rejoindre pour creuser en nous une soif
nouvelle. Or à soif nouvelle, source nouvelle ; il faut donc consentir à abandonner,
comme la Samaritaine, la cruche des eaux sales qui polluent nos vies à longueur de
journée, afin de puiser et recevoir à pleines mains l’eau vive, l’eau qui comble toutes
les soifs, et devenir, comme la Samaritaine, des messagers de l’amour du Christ.
Et si Jésus est fatigué, ce n’est pas à cause de la marche, mais parce qu’il doit
sans cesse courir derrière nous pour nous soulager et nous tirer des mauvais pas. Il
a faim, mais pas de pain. Comme d’habitude, les disciples n’ont pas compris. Jésus a
faim d’accomplir l’œuvre du Père. Il a soif de sauver les hommes. Quand il demande
à la samaritaine « donne-moi à boire », Jésus a soif de l’affection de cette femme,
comme il a soif aussi de la nôtre. En général, nous ignorons cette demande d’amour
et de compagnie si forte et si radicale, parce que l’amour du Seigneur est un amour
exigeant auquel nous préférons nos petits amours, nos petites revanches. Comme
la samaritaine, nous lui opposons une forte résistance : « Comment ! toi qui es juif,
tu me demandes à boire, à moi, une samaritaine ? » En réalité, en lui demandant de
l’eau, Jésus a franchi une barrière. Il s’adresse à une femme et, qui plus est, à une
samaritaine. Un proverbe rabbinique disait : « manger le pain des samaritains est
comme à manger de la viande de chien ». cette femme est surprise par la demande
de Jésus, et ne comprend pas la force d’amour qui se cache derrière ses paroles : « si
tu savais le don de Dieu… »
Dieu aimait déjà cette femme quand elle était distante, et elle ne s’en était pas
aperçu. Sa vie, marquée par les déceptions et les trahisons, ne lui laissait sans doute
plus d’espérance. Elle a eu cinq maris. Désormais, elle ne croit plus aux autres et n’a
plus confiance en elle-même. Comment pourrait-elle se fier à un étranger ? comment
pourrait-elle comprendre que c’est Dieu qui lui parle en la personne de ce juif fatigué
et assoiffé, qui n’a même pas un récipient pour puiser l’eau ? « Avec quoi prendrais-
tu l’eau ? », lui dit-elle, résignée et sceptique. Pour elle, habituée à la dureté de la vie,
les paroles ne comptent plus, elles ne peuvent pas changer l’ordre des choses, elles
ne donnent pas la vie…
Cette femme nous ressemble beaucoup. Sa vie est pleine de trahisons et de
problèmes. Elle s’est endurcie à force de devoir se défendre, et se montre agressive
pour ne pas devoir admettre ses déceptions et ses échecs. Elle le fait avec tout le
monde, y compris avec cet étranger qui lui parle avec simplicité et de façon directe
(sans biaiser avec la vérité). C’est une pauvre femme, avec une vie compliquée, qui
doit faire un long chemin pour aller chercher de l’eau. C’est une femme forte de
son expérience qui pense connaitre la vie. Ses jugements sont rapides. Mais Jésus
insiste : « Celui qui boira l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif » Que
peut faire cet homme démuni, faible, qui n’a rien pour puiser l’eau ? Elle ne croit plus
à rien d’autre qu’à sa cruche, à sa jarre, à sa peine, à ce qu’elle peut voir et toucher
du doigt. Mais, c’est aussi une femme avisée ; elle ne perd pas le nord. Quand Jésus
lui parle d’une autre eau qui pouvait étancher sa soif à jamais et lui éviterait les
longues marches jusqu’au puits, elle s’intéresse immédiatement à cette proposition
qui lui semble intéressante. Elle veut bien prendre quelque chose de l’Evangile, mais
à condition de ne rien devoir changer à sa vie. Elle veut s’assurer un avantage tout en
restant telle qu’elle est.
Toute rencontre avec Jésus est personnelle et touche le cœur. Jésus l’aide à
être elle-même. « Je n’ai pas de mari », dit-elle. Elle ne dit pas tout d’elle-même, et
Jésus n’insiste pas, ne l’humilie pas en lui demandant une description embarrassante
de son péché, de l’histoire de ses nombreuses amours trahies. Avec tact, respect et
considération, il raconte toute sa vie. La Vérité, c’est Jésus. C’est ce qui frappe cette
femme : elle se sent comprise, connue pour ce qu’elle est, et aimée ! Ce n’est pas
une loi ou un jugement qui change les cœurs, mais la rencontre longue, patiente et
insistante avec cet homme qui parle avec liberté et amour.
Frères et sœurs, laissons-le nous dire tout ce que nous avons fait ! nous
deviendrons ainsi une source dans l’aridité de la vie. Ensuite, parlons à tous ceux
que nous rencontrons avec l’émerveillement de cette samaritaine à qui quelqu’un
a enfin parlé avec amour. L’Eglise, disait Jean XXIII, est comme la fontaine du village
où tous peuvent venir puiser l’eau de l’amour et de la consolation. Qu’il en soit ainsi
aussi pour nos cœurs possessifs et pécheurs, mais connus, aimés et pardonnés par
le Seigneur ; cet homme assoiffé qui vient vers nous et demande notre amour. Le
Seigneur nous apprend à être une source d’amour, en nous mettant au service de
ceux qui ont soif. Ainsi nous trouverons l’amour qui n’a pas de fin et qui étanche
notre soif.
AMEN.