Deux témoignages de confrères spiritains en ouverture des journées d’amitié:
Christian CHOQUREAU nous parle de son expérience au Mexique.
Bâtisseur de Paix au Mexique
J’ai vécu 20 ans au Mexique, d’abord en milieu rural pendant 8 ans comme responsable d’une mission, puis 12 ans en ville, comme aumônier d’hôpital.
2 expériences très différentes, à travers lesquelles j’ai compris une première chose : les chemins qui conduisent à la paix sont nombreux et divers.
La paroisse en milieu rural où j’ai travaillé, compte une vingtaine de villages. Métis et Indiens s’y côtoient sans pour autant se mélanger.
Les Métis vivent dans le gros village central, « en bas », là où la vie est plus facile et où l’on trouve les commerces. Les Indiens, eux, habitent la montagne « en haut », dans des communautés retirées, aux conditions de vie plus austères, et à bonne distance du village central.Cette organisation se retrouve partout où, dans le pays, se maintient une présence de population Indienne. C’est l’héritage d’une histoire vieille de 5 siècles. Dans la vie quotidienne, il y a peu de contact entre Indiens et Métis. Leurs façons de vivre sont différentes, tout comme leurs mentalités, la religiosité, la conception de la vie, du monde, de Dieu, le niveau économique, les chances face à l’avenir. En 8 ans, je n’ai célébré aucun mariage entre Indien et Métis. Ce sont deux mondes distincts.
Dans ce contexte, bâtir la paix c’est favoriser le dialogue et la rencontre. Notre travail s’est surtout centré sur les enfants et les jeunes (bien que pas exclusivement) : lancement de mouvements, création d’équipes tant dans les communautés indiennes que dans le village Métis. Puis, par le biais de rassemblements et de journées d’animation, nous avons mis en présence ces jeunes, Indiens et Métis… Ce fut le début d’un dialogue, d’une découverte mutuelle. Les Indiens, très discret au départ, ont osé prendre la parole peu à peu devant les Métis, ce qui est déjà un grand pas, et les Métis ont écouté les Indiens. Avec le temps, diverses actions en commun ont été menées. Dit comme cela et vu d’ici, cela semble sans doute banal… Mais en fait, c’est aller à l’encontre de 5 siècles d’histoire Mexicaine marqués souvent de domination, puis d’indifférence. C’est ébranler des schémas sociaux aux racines très profondes.
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Après 8 ans de grands espaces, des belles montagnes de la Huasteca, d’air pur et de végétation luxuriante, mon arrivée à Tampico, grosse ville industrielle dans le Golfe du Mexique, fut pour moi un énorme changement…
Pendant 12 ans, je me suis retrouvé aumônier de l’hôpital général, c-a-d l’hôpital des pauvres, où paradoxalement, presque tout est à la charge du malade et de sa famille : médicaments, frais d’hospitalisation, analyses, matériel de chirurgie, etc…
Auprès des malades en phase terminale, plongé au cœur du monde de la souffrance, c’est la Paix que je continue à bâtir, mais cette fois non plus entre peuples Indien et Métis, mais la paix intérieure, celle de l’être humain face à lui-même, face à sa vie et son destin.
J’y accompagne des malades, frères et des sœurs en humanité, dans leur recherche de cette paix. La paix au fond d’eux même, afin de pouvoir affronter cette étape de la vie. Trouver la paix, quand le bateau commence à prendre l’eau. Faire route avec eux, quand ils voient peu à peu disparaitre ce qu’ils ont de plus cher, leur propre vie. Désir de paix, recherche de paix, être en paix avec soi, avec les autres, avec son Dieu.
Il est assez difficile de parler d’une telle expérience. D’abord, parce que les mots ne peuvent traduire la force et la profondeur de ce qui est vécu là. Et aussi en raison d’une certaine pudeur qui retient de parler de ces moments de vie, de « ventiler » une certaine intimité. Chaque rencontre est empreinte de beaucoup de confiance, d’authenticité, où l’on parle « vrai », sans masque.
L’hôpital c’est tout un monde. L’aumônier s’y trouve au service des malades, mais aussi de leurs familles, et des professionnels de la santé, du personnel soignant. Chaque matin en entrant comme aumônier dans le hall de cet hôpital des pauvres, je me dis « j’entre dans mon église ».
C’est pour moi une véritable école de spiritualité. Il m’arrive souvent de sentir la main de Dieu frôler la mienne, au moment où je repose celle d’un frère ou d’une sœur qui, comme on dit « s’est endormi pour toujours ». J’ai l’impression alors d’entendre derrière moi, Dieu qui me dire : « OK, c’est bon Christian, tu peux y allais, tu as bien travaillé… maintenant c’est moi qui le reçoit chez moi. Merci ! »
En quittant un frère ou une sœur qui part pour l’autre vie, je pense toujours au jour où je le reverrai, plus tard, de l’autre côté du voile… et c’est un sentiment empreint de tranquillité, de repos, c’est un « au revoir, à bientôt… »
Je découvre aussi, jour après jour, que pour transmettre la paix aux autres il faut d’abord la posséder soi même. Ce sont ces frères et ces sœurs malades qui me font grandir, qui m’obligent à cultiver en moi cette paix, pour pouvoir ensuite la donner.
Cet apostolat a transformé radicalement ma vie comme missionnaire et comme prêtre. Il me fait relativiser beaucoup de choses et en valoriser d’autres.
Et puis, il y aussi les familles des malades. A l’hôpital des pauvres, la grande majorité des lits est occupée par des Indiens et chaque jour nous sommes témoins de la lutte de ces familles sans ressource pour offrir à leurs malades, malgré tout, ce dont ils besoins ; c’est une lutte sans merci, acharnée, de tous les instants.
Cet oubli de soi pour l’amour de l’autre, ne peut laisser insensible ceux qui en sont témoins. C’est un dévouement qui force l’admiration, qui nous secoue.
Alors, on a envie nous aussi de se mettre en route, de faire quelque chose. C’est ainsi que naissent des initiatives.
Paradoxalement, ce sont les Métis qui se mettent en marche, et s’organisent en associations. Face à l’ampleur des besoins, chacun trouve son propre créneau, sa façon d’agir et de financer son action. Une association se charge d’offrir un espace d’hébergement pour les familles, le gîte et le couvert. Une autre met en place un réseau de bonnes volontés, qui inclut des chirurgiens et des anesthésistes qui dans certains cas opèrent gratuitement, des spécialistes qui reçoivent les plus nécessiteux en consultations gratuites. On se débrouille également pour obtenir des médicaments et autre matériel.
Je pense aussi tout spécialement à Rosa Linda, la psychologue du Centre « Telsida » de l’hôpital, une autre « bâtisseuse de Paix ». Elle travaille chaque jour avec des couples où généralement le mari a transmis le sida à sa femme. Elle se donne pour mission de faire naitre le pardon, réconcilier, reconstruire le couple, car en fin de compte elle sait que dans un couple atteint du sida au Mexique, c’est l’appui mutuel au sein du couple, qui sera la plus grande source d’aide et de force, face à la maladie.
Pour tous, le but est le même : être solidaire des plus souffrants, épauler les familles.
C’est ainsi qu’est né également en 1998 l’œuvre des Ateliers du Saint Esprit, à l’initiative de notre Congrégation : une petite entreprise qui fabrique, décore et commercialise des cierges et des bougies sous la marque « TALITA KUM » (« petite fille, lèves-toi »). Elle compte aujourd’hui plus de 800 clients dans tout le Mexique. Cette activité économique offre deux avantages de taille :
1./ Elle produit des bénéfices, qui servent ensuite à couvrir des frais hospitaliers : aide d’urgence, achat de médicaments, paiement d’analyses, de frais d’hospitalisation : plus de 200 malades bénéficient chaque année de cet appui.
2./ Et puis comme entreprise, elle crée aussi de l’emploi, 10 à 15 postes de travail « réservés » à des malades qui désirent travailler et qui en raison de leur maladie, se voient habituellement refuser tout emploi. Ce sont eux, malades du sida, d’insuffisance rénale, de leucémie ou au sortir d’un traitement de type psychiatrique, qui décorent les 120 000 cierges produits chaque année par l’entreprise. Comme l’association est sans but lucratif, elle utilise la totalité de ses bénéfices pour soutenir les malades ; elle peut ainsi offrir des salaires plus que 2 fois supérieurs au barème en vigueur dans cette branche d’activité.
Une chose m’impressionne beaucoup, lorsque je passe près du secteur de décoration : j’entends cette équipe très spéciale de travailleurs pourtant tellement marqués par la souffrance, rire et blaguer… c’est leur volonté de vivre de se battre. En travaillant ensemble, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls, que d’autres s’affrontent comme eux au défi de la maladie. Ils s’épaulent mutuellement, s’inquiètent lorsque qqu’un manque, se visitent à l’hôpital. Pour eux, retrouver un emploi c’est retrouver leur dignité, se sentir vivant, être productif, pouvoir assumer les frais de leur traitement…
C’est aussi s’accepter tel que l’on est : chacun sait en effet de quelle maladie souffrent les autres… Pour les jeunes atteints du sida tout particulièrement, être accepté comme tel dans une équipe de travail, sans devoir dissimuler ou mentir, est une vraie libération qui rejailli directement et de façon très positive sur l’estime qu’ils ont d’eux même…
Cette œuvre a vu le jour et a grandi grâce à l’appui de la Province de France et de nombreux bienfaiteurs. Et je profite de cette occasion pour les remercier.
Au coude à coude nous continuons à travailler, avec la participation de tous, pour qu’au Mexique aussi grandisse la Paix entre les hommes et au cœur de chacun.
Merci.
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