La difficulté de compréhension devant n’importe quelle réalité amène très souvent à poser des questions fondamentales sur le positionnement de l’être humain dans ses multiples convictions religieuses, agnostiques, politiques ou autres.
Parmi les mille et une questions que me posaient les élèves pendant les cours de la culture religieuse pour amuser la galerie, mon attention fut attirée par une qui s’adressait non seulement à moi comme chrétien, mais plus encore dans mon état de prêtre. Une élève me demandait si on pouvait être chrétien sans pour autant comprendre toutes les vérités de foi que proclame l’Eglise. C’était une question adressée à tout chrétien à mon goût à laquelle je m’apprêtais à répondre en apprenti théologien de manière à ne plus donner envie à cette élève de poursuivre la discussion. Pendant que je rassemblais mon esprit pour accéder à sa demande, un autre élève corrigeait la trajectoire de la question me mettant ainsi sur la sellette : « Dites-nous, monsieur, en tant que prêtre, si vous comprenez tous les dogmes ». Le sérieux avec lequel il posait la question et la lueur qui se lisait sur son regard me poussaient à lui dire la vérité sur ma propre personne. A cet instant je sentais que l’heure n’était plus à un discours intellectuellement torsadé qui ferait croire que toute recherche de compréhension des vérités de foi serait l’apanage de quelques initiés. Répondre à cette question à la normande me paraissait un faux-fuyant auquel je renonçais sur-le-champ. Je me suis alors référé à trois faits dans les Evangiles. Le premier concerne la fugue de Jésus. Devant le vif reproche de ses parents, Jésus à douze ans répliquait : « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? ». Et saint Luc de poursuivre : « Ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait » (Lc 2, 48-50). Le second est l’incitation des frères de Jésus à venir le chercher et le ramener de force à la maison. Quelqu’un est venu dire à Jésus : « Ta mère et tes frères se tiennent dehors et désirent te voir ». La réponse de Jésus ne se fait pas attendre : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique » (Lc 8, 21). Enfin le troisième fait se passe au pied de la croix. « Jésus dit à sa mère : ‘ Voici ton fils, mère’. Puis au disciple : ‘Voici ta mère’. Et dès ce moment, le disciple la prit chez lui » (Jn19, 26-27). Ces trois faits évoqués (parmi d’autres) sont quelque peu déconcertants pour Marie, la femme qui a porté dans son sein et allaité le Fils de Dieu. Avait-elle compris tout le poids de la mission et la teneur des propos de son fils qu’elle croyait connaître ? Et au final, au pied de la croix, qu’est-ce qui pouvait rester à une femme comme famille dont le fils se faisait crucifier au su et au vu de toute la ville comme une crapule ? La mère de Dieu était devenue tout à coup sans domicile. Ce fut un disciple, quelqu’un d’étranger à la famille qui la reçut chez lui. Avait-elle une connaissance immédiate, infuse de tout ce qui se passait en ce Fils et autour de lui ? Avouons que la pilule est dure à avaler même pour nous. Mais plus en amont dans l’Evangile de saint Luc, une phrase semble définir l’attitude de Marie qui pourrait être la nôtre : « Sa mère gardait tous ces événements dans son cœur » (Lc2, 51). L’attitude de tout chrétien en face des dogmes se doit être mariale, une attitude non de béate contemplation des vérités de foi, mais plus une attitude de méditation. Une attitude méditative est à la fois l’effort de réflexion susceptible d’ouvrir à la compréhension d’une réalité et en même temps une prière à Dieu d’éclairer l’intelligence de chacun de nous, afin de rendre un tant soit peu intelligibles les vérités de foi que professe l’Eglise.Dans une des ses encycliques le Pape Jean-Paul II écrivait ceci : « L’Eglise s’arrête devant l’autel de la conscience [1] ». De ce fait on n’impose pas les dogmes aux Chrétiens ; le chrétien non plus n’a pas à faire le tri dans les dogmes pour s’attribuer ce qui correspondrait à ses sensibilités et mettre de côté ce qui lui semblerait rébarbatif. Le devoir de tout chrétien est d’avoir une telle ouverture d’esprit capable de chercher, dans une attitude méditative, à rendre intelligible l’objet de sa foi en en améliorant et actualisant son contenant caduc. Osons mettre ceci au nombre de vérités de notre foi : la foi est un chemin ; personne n’en est encore arrivé au bout pour prétendre tout comprendre. La force de la foi, contrairement à la science qui avance dans une certaine certitude, est de nous faire avancer dans le clair-obscur de la vie et de notre propre vie. Notes : [1] Excusez ce manque de rigueur : oubli des références de ladite encyclique
Peut-on être chrétien et exprimer ses doutes par rapport à certains dogmes ?